L'expérience d'une vie

Consolider sa vision de l'enseignement

L'été 2012, pendant deux mois, j'ai eu la chance de vivre dans une famille sénégalaise dans un village Sérère grâce à l'organisme Mer et Monde. Je faisais un stage à l'école primaire privée catholique du village ainsi que de l'alphabétisation pour le groupement des femmes de Terohk.

 

D'une part, j'ai joué le rôle d'orthopédagogue à l'école et, d'autre part, j'étais une enseignante de français auprès de femmes.

 

Ce projet m'a énormément fait grandir et a consolidé ma vision de l'enseignement au Québec. Vu le choc culturel à l'école, j'ai compris l'importance du développement de l'esprit critique des élèves ainsi que l'importance du questionnement sur sa pratique enseignante.

 

Bilan réflexif

Voici le bilan que j'ai remis à mon enseignant pour le cours stage à l'international en éducation. J'y résume mon expérience, mes aquis, mon évolution personnelle, etc.

 

Bonne lecture!

 

 

Une expérience de stage hors du commun

1.     Comment s'est déroulé l'accueil, dans l'école et dans la classe ou dans votre projet?

 

 

Véronique et moi avons très bien été accueillies à l’école St-Martin de Yendane. Chaque lundi matin, tous les élèves se regroupent en rang à l’extérieur et le directeur dit quelques mots. Il nous a présentées formellement à l’école, ainsi qu’aux enseignants. Il nous a chacune attitré une classe, malgré le fait que nous devions faire de l’orthopédagogie dans plusieurs classes, selon ce qu’on nous avait dit avant le départ. J’ai été très bien accueillie dans la classe de CM1 (cinquième année) avec monsieur Jean-Paul Gomis. Celui-ci, très ouvert et enjoué, m’a tout de suite dit de prendre ma place et d’interagir avec les élèves. La première journée, j’ai davantage observé la classe et j’ai créé un plan de classe afin de me souvenir des noms des élèves. Ceux-ci semblaient très heureux de me voir faire partie de leur univers.

 

Comme nous voulions mener à terme notre projet d’orthopédagogie, nous avons dû s’immiscer dans une rencontre du personnel afin de leur faire part de nos actions possibles, soit de séparer l’école en deux et de créer un horaire de rencontres en orthopédagogie. Les enseignants ont bien répondu à l’appel et on démontré de la gratitude à notre égard. Certains enseignants avaient de la difficulté à respecter l’horaire d’orthopédagogie, mais on retrouve ce phénomène au Québec alors c’est compréhensible.          

 

2.  Quels ont été les apports de ce stage, à votre avis, pour vos collaborateurs et vos bénéficiaires?

 

 

Les enseignants ont pu voir notre style différent d’enseignement : nous privilégions davantage le jeu et mettions l’accent sur les élèves en difficulté. Ils ont également apprécié le document que nous leur avons fourni, qui relate un comparatif entre l’école montréalaise et l’école de Yendane (voir ANNEXE I). Notre présence a fait en sorte que nous avons mis l’accent sur les élèves en difficulté et trouver des solutions, chose qui n’était pas faite régulièrement. Les enseignants voyaient seulement le redoublement comme moyen d’aider les élèves en difficulté. Suite à notre passage dans l’école, les enseignants ont remarqué qu’il était possible de faire des entrevues de lecture afin d’évaluer le niveau de lecture des élèves, faire des activités de rattrapage à même les heures de cours avec les plus faibles alors que les plus forts travaillent sur un autre projet, et plus encore.

 

Dans ma classe attitrée (CM1), mon enseignant associé a pu observer différents jeux de mathématiques ou de français que j’ai réalisé avec les élèves (hockey mathématiques, lecture interactive avec marionnettes, mini-quiz, etc.). Suite à nos discussions, il a pu se questionner sur sa propre pratique en échangeant sur les différentes méthodes d’enseignement. Le directeur et les enseignants nous ont plusieurs fois remerciées et dit à quel point notre passage a été enrichissant pour les élèves et pour eux.

 

Bien entendu, les apports n’ont pas été unidirectionnels : j’ai moi-même beaucoup appris de l’expérience, et je vous en parlerai davantage dans les pages qui suivent.

 

 

3. Quelle a été votre implication (observation, prise en charge immédiate, progressive, collaboration)?         

 

La première journée de stage, le 21 mai, j’ai noté toutes les activités qui avaient lieu dans la classe de CM1 en prenant soin d’indiquer les procédures pour chaque «leçon». J’ai également tenté de me rapprocher des élèves en apprenant leur nom ou en leur posant des questions. Dès la deuxième journée, j’ai animé une petite activité en français et j’interagissais avec l’enseignant principal. La troisième journée, quand j’ai vu que le directeur était absent, je l’ai remplacé pendant plus d’une heure dans la classe de CE2. J’ai donc joué au nombre mystère avec les élèves, fait des jeux de vocabulaire en français et joué au hockey mathématiques. Par la suite, Véronique et moi avons décidé de faire un horaire d’orthopédagogie et d’ainsi intervenir dans toutes les classes de l’école. Nous avons soumis notre idée aux enseignants et ils ont tous accepté. Je m’occupais donc de la classe CM1, CE2 et CP alors que Véronique s’occupait du CI, CE1 et CM2. Les jours qui suivirent, j’ai tenté de respecter l’horaire suivant :

 

8h15 à 9h30 : CE2

9h15 à 10h30 : CP

11h30 à 13h : CE2

 

Cependant, vu les disponibilités des enseignants et les absences du directeur, l’horaire s’est modifié afin que chaque matin, je commence avec les élèves du CP. Lorsque j’avais du temps, je restais dans ma classe attitrée, la classe de CM1.

 

Monsieur Kisito, enseignant du CP, avait ciblé des élèves en difficulté dans sa classe. Pour la classe de CE2, j’ai dû moi-même cibler les élèves en difficulté en effectuant des entretiens de lecture, même chose pour la classe de CM1.

 

En résumé, la première semaine était davantage une semaine d’observation/adaptation/préparation. La deuxième et la troisième semaine ont été des semaines d’action : Véronique et moi étions à temps complet «orthopédagogues». La quatrième semaine était une semaine d’analyse, alors que les élèves étaient tous en examens. S’est ensuite suivi quelques jours où nous avons aidé certains enseignants à réaliser les bulletins et discuter du redoublement de certains élèves. Nous avons également pu observer certaines activités des petites sections (garderie).

 

Entre temps, nous faisions des ateliers de chanson québécoise, qui ont mené à un spectacle à la Fête nationale du Québec.

 

 

4. Comment se sont organisés vos rapports professionnels avec l’enseignant associé ou votre responsable de projet tout au long du stage ?                                                                                   

 

 

Mes rapports avec monsieur Gomis étaient très amicaux. Cependant, il ne cessait de me dire «vous êtes la patronne», alors que ce n’était pas le cas. Il avait de la difficulté à comprendre que j’étais dans sa classe pour échanger et non pas pour lui dire quoi faire et comment le faire. Le fait que j’arrive d’un pays «développé» avec un système d’éducation plus «efficace» (en toute subjectivité) était probablement à l’origine de ses perceptions.

 

                                                                                               

5. Quelles ont été les difficultés rencontrées durant votre stage ?           

 

La difficulté première du stage a été, bien entendu, le choc culturel. Pour Véronique et moi, il était très difficile d’accepter le fait que certains enseignants utilisent la correction physique pour faire de la gestion de classe. De plus, nous étions choquées du laxisme (selon notre perception) des enseignants et du directeur. Celui-ci quittait l’école presque chaque matin pendant près d’une heure, pendant les heures de cours, pour aller chercher son journal en moto à la ville la plus proche…

 

La journée où nous avons assisté à une réunion du personnel PENDANT les heures de classes alors que les élèves étaient sans surveillance a contribué à entretenir une frustration envers l’attitude des professionnels sénégalais en milieu scolaire. De plus, le thème de cette réunion était la sortie de fin d’année des enseignants à la plage…rien à voir avec les élèves.

 

Heureusement, la frustration a laissé place à une acceptation. Après quelques semaines, ce qui nous frustrait énormément au début nous semblait presque normal. On réussissait même à rire du fait que le directeur partait en moto ou qu’un enseignant répondait au cellulaire en pleine heure de classe ! Cela ne change en rien que nous gardions en tout temps notre professionnalisme et que ce genre d’attitude serait inacceptable au Québec !

 

Il faut également que je mentionne une autre difficulté dans le stage : la chaleur et l’horaire de l’école. Effectivement, il faisait très chaud dans la classe, ce qui n’aidait en rien à la concentration. De plus, il y avait trois heures d’enseignement le matin avant la pause, ce qui était une période beaucoup trop longue et pour les élèves, et pour les enseignants. S’adapter à ces nouvelles contraintes faisait partie des difficultés du stage.

 

L'apport de la formation

1.     Quels sont les apports de la formation reçue, avant le départ (sur la préparation au stage, sur le contexte scolaire et socioculturel et sur l’interculturalisme) dans votre intégration et votre adaptation au contexte social du pays ?

 

La formation était, selon moi, plus que nécessaire pour me préparer au mode de vie sénégalais, aux valeurs locales et aux principes d’adaptation. Elle a également permis de donner un sens à profond à cette expérience et à entrer dans la grande famille meremondienne, une famille extraordinaire remplie de gens fantastiques et ouverts. De plus, la formation me permettait de me questionner sur notre mode de vie nord-américain afin de devenir encore plus engagée et soucieuse d’une vie en collectivité juste et équitable. La formation, très complète selon moi, comprenait cinq volets : la connaissance de soi, dynamique de groupe et vie communautaire ; la connaissance du pays d’accueil et de la culture québécoise ; l’adaptation et la communication interculturelle ; la philosophie du développement et de la coopération internationale et la mondialisation et ses alternatives.

 

Le fait d’être en réseau avec plusieurs autres participants ou ex-participants à Mer et Monde m’a permis de poser toutes mes questions nécessaires et à me préparer au maximum, malgré le fait que l’Afrique n’est jamais comme on peut vraiment l’imaginer et que chaque parcours est différent.

 

En bref, lors des nombreuses fins de semaine de formation, je me suis questionnée sur mes valeurs profondes, sur mon identité, sur mes choix de vie, sur mon mode de vie, sur la mondialisation et ses impacts et sur les privilèges auxquels j’ai droit. J’ai également appris plusieurs éléments sur l’histoire du Sénégal, sur les religions pratiquées, sur ce qu’est un choc culturel, sur le choc du retour, sur la communication interculturelle et sur les filtres de perception.

 

Un jeu qui m’avait beaucoup marquée en formation était l’albatros. Un à tour de rôle, nous devions entrer dans une pièce remplie d’inconnus, maquillés de façon bizarre et étant tous assis en cercle, autour de différents objets. Leur seul moyen de communication était le «chhhhhh» ou le claquement de langue. Je devais donc tenter de comprendre ce que j’avais à faire, tout en n’ayant aucun repère. Ce genre de jeu m’a été particulièrement utile au Sénégal, à des moments où je ne comprenais rien de ce qu’il se passait, mais que je ne faisais qu’imiter les gens autour de moi et me fier à mes pressentiments!

 

2.     Vos représentations à propos de votre formation initiale en enseignement ont-elles changé, à la suite de cette expérience de stage à l’étranger (apports de votre formation et aspects à considérer dans la formation des maîtres) ?

 

Effectivement, j’ai compris encore davantage l’importance d’une formation universitaire de quatre ans en enseignement. Au Sénégal, la plupart des enseignants ont étudié dans d’autres domaines avant de se convertir à l’enseignement et faire environ un an de cours dans ce domaine. Ceux-ci ne connaissent donc pas les problématiques des élèves en difficulté (comment les aider, quels sont les troubles possibles, etc.).

 

Je me suis rendu compte que malgré le fait que je n’apprécie pas toujours faire des analyses réflexives dans mes stages ni tenir à jour mon journal de bord, je pense que ces tâches sont primordiales afin de développer l’esprit critique chez l’enseignant, et surtout le développement professionnel. Malheureusement, au Sénégal, les enseignants ne font qu’un stage de six mois avant leur année d’étude, sans supervision et sans analyse réflexive. Ce manque flagrant de soutien aux futurs enseignants fait en sorte que les mêmes erreurs se répercutent de génération en génération.

 

3.     Quels sont les apports de cette expérience sur le plan personnel ?

 

Les apports sur le plan personnels sont très nombreux : je pourrais écrire dix pages à ce sujet ! J’ai surtout appris à apprécier ce que j’avais (la gratitude), que ce soit au niveau familial, professionnel ou matériel. Je remets les petits problèmes du quotidien en perspective, ce qui me rend davantage heureuse. J’ai également appris à ralentir mes actions et prendre le temps de prendre le temps avec les autres, car la richesse humaine est beaucoup plus grande que la matérielle. J’ai aussi appris à développer ma patience et à écouter davantage les autres. Rien ne sert de courir et de s’étourdir.

 

Le fait que les Sénégalais imposent parfois leurs méthodes dans les tâches quotidiennes m’a permis de travailler sur moi et d’accepter davantage la critique. De voir la force intérieure extraordinaire des femmes m’a permis de me pousser plus loin et de me motiver à travailler davantage et mettre tous les efforts nécessaires pour arriver à mes fins.

 

Dans ce périple au Sénégal, j’ai surtout appris qu’on a besoin de peu pour être heureux : une famille et des amis, de la nourriture et de l’eau. Tout le superflu Nord-Américain me paraît tellement futile. Je comprends encore plus qu’avant l’importance de faire attention à nos ressources comme l’eau ou la nourriture. J’étais déjà «allergique» au gaspillage et je le suis encore plus aujourd’hui.

 

 

4. Quels sont les apports de cette expérience sur le plan professionnel (acquisitions pour la pratique future en enseignement, nouvelles orientations, études supérieures…) ?

 

En tant qu’enseignante, les aspects sur le plan personnel cités plus haut me permettront d’être davantage posée et à l’écoute des élèves. Je pourrai également davantage comprendre ce que les enfants africains récemment immigrés peuvent vivre comme choc culturel au Canada. Je serai également davantage motivée à faire des analyses réflexives, ayant compris leur nécessité.

Cette expérience de stage a vraiment consolidé mes valeurs en tant qu’enseignante ainsi que mes convictions profondes. Je peux maintenant affirmer qu’en tant qu’enseignante, l’esprit critique et la créativité sont au cœur de ma vision de l’enseignement. Ces éléments étaient quasi absents dans l’école de Yendane, ce qui m’a rappelé leur importance. Lorsque je parle d’esprit critique, je parle de celui des élèves, mais également celui des enseignants. Je devrai constamment questionner ma pratique et me réajuster par rapport aux nouvelles réalités des enfants. Je suis consciente que si la majorité des élèves ne comprennent pas une leçon, c’est à moi de changer mon approche.

 

Bien entendu, tous les aspects liés à la mondialisation et ses impacts m’intéressent beaucoup et je compte bien les transmettre à mes futurs élèves. Je veux qu’ils sachent les impacts de leurs gestes au quotidien sur le monde. Ainsi, je veux plus que jamais former de futurs citoyens du monde, ouverts d’esprit et critiques.

 

Dans un autre ordre d’idées, je pense un jour retourner au Sénégal donner des formations dans des écoles ou aider à restructurer une école déjà existante, lorsque j’aurai acquis davantage d’expérience dans mon domaine.

 

 

5.     En quoi vos représentations (sur l’école, la société et le contexte du pays, par exemple), avant le départ, étaient-elles justes ou faussées ?

 

 

La conception que j’avais du Sénégal se rapprochait de la réalité puisque plusieurs personnes de mon entourage y étaient déjà allées et m’en avaient parlé en profondeur. Je savais bien que Vision mondiale ne devait pas être mon schème de représentation de l’Afrique. Rien n’empêche qu’on ne peut pas tout prévoir. J’ai été très surprise du fait que les Sénégalais sont tellement généreux, mais en même temps ont tant de difficulté à avoir de l’empathie. Même si j’étais avec un petit groupe de jeunes qui parlent très bien français, ils se parlaient en Sérère entre eux, sachant très bien que je ne comprends pas leur langue. Je sais qu’au Québec, ce genre de chose ne serait pas arrivée : un anglophone parle anglais dans un groupe et tout le groupe s’adapte à lui ! J’apprécie donc davantage cette empathie québécoise et je me sens encore mieux chez nous.

 

 

6. Comment définiriez-vous le terme «choc culturel», à la suite de cette expérience. Croyez-vous avoir vécu un «choc culturel» ?  Expliquez.

 

Je définirais le choc culturel comme étant un processus d’adaptation, qui comporte des hauts et des bas et qui est directement créé par le choc des valeurs (être confronté à des valeurs très différentes des nôtres). En m’inscrivant à ce projet, j’espérais avoir un choc culturel et je l’ai eu, sans contredit ! Le choc culturel a créé chez moi beaucoup de frustration. Chaque jour, surtout au début du voyage, j’étais confrontée à mes valeurs profondes, surtout à l’école. Même si je tentais d’analyser la situation avec l’analogie de l’iceberg, cela ne m’empêchait pas de me frustrer et d’attaquer cette culture qui bouleversait mes valeurs. Après un certain moment, j’ai su tempérer mes frustrations et relativiser mes pensées. Je me suis donc adaptée, sans nécessairement renier mes racines québécoises et sans pour autant être en accord avec tout ce que je voyais. J’étais seulement en harmonie avec ce qui se passait. Je suis contente d’être partie deux mois pour avant eu le temps d’en arriver à ce stade, alors que partir après un mois m’aurait laissée sur un goût amer.

 

 

7.  La représentation que vous aviez de votre identité vous semble-t-elle avoir changé, à la suite de cette expérience» ?  Expliquez.

 

Effectivement, je sens avoir changé pendant ces deux mois passés dans ce pays où les relations humaines sont si importantes. J’ai l’impression de ne pas avoir fini le processus de changement de ma personne, qu’il s’agit d’un changement continu. Je peux affirmer que je sens avoir davantage consolidé mes valeurs (l’importance de la famille, l’esprit critique, le respect). Je me sens mieux avec moi-même et avec les autres et j’apprécie chaque petite chose que la vie m’apporte. Je conseille donc à tout le monde de vivre une fois dans leur vie cette expérience qui nous transforme tellement positivement! En allant chercher le meilleur du Sénégal et le meilleur du Québec, j’ai l’impression de vivre dans un monde tellement plus beau!